C’est le Québec tout entier qui tente de comprendre comment les administrateurs d’Aéroports de Montréal (ADMTL) en sont venus à décider, unilatéralement, le jeudi 1er mai 2014 que l’immense aérogare serait détruite.
C’est à l’occasion de l’assemblée annuelle publique d’ADMTL que le président et chef de la direction de l’organisation, James Cherry a fait son annonce. La décision de détruire l’aérogare s’appuie sur deux rapports d’experts, ceux du Groupe Altus et d’ARUP, qui expliquent que le potentiel de l’aérogare à des fins commerciales «est quasi nul et économiquement injustifié».
L’aéroport de Mirabel (YMX) étant toujours un établissement fédéral loué à ADMTL, Transports Canada a reçu copie des rapports d’experts et a décidé que l’aérogare, inutilisé commercialement depuis la fin de novembre 2004, était tombé en désuétude.
Depuis les évènements du 9/11 à New York, à Washington et en Pennsylvanie, les mesures de sécurité des aéroports ont dû être améliorées au point où il était devenu trop dispendieux pour remettre Mirabel aux normes. L’aéroport Montréal-Trudeau à Dorval, lui, répond aux normes et si l’on se fie à la décision de James Cherry à ADMTL, c’est le seul aéroport dont la grande région de Montréal a besoin.
Pour mieux comprendre la portée de la décision d’ADMTL de détruire l’aérogare de l’Aéroport de Mirabel, il faut se rappeler qu’il s’agissait de l’un des plus grands aéroports au monde, en terme de superficie et que pour obtenir ces terres, en 1969, le gouvernement fédéral a procédé à l’expropriation de 40,000 hectares de terre agricole de première qualité… bien plus que ce qui était nécessaire pour l’aéroport.
L’expropriation était un moment pénible pour les fermiers qui ont protesté pendant des années contre l’absence de consultation et l’unilatéralisme du geste. Environ 10,000 personnes ont été déplacées par les expropriations massives ce qui en a fait la plus importante migration de gens de l’histoire du Canada, après l’expulsion des Acadiens, dans les années 1700.
On le sait aujourd’hui, l’aéroport n’a jamais été ce qu’il devait être.
Au cours des années 1980, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney a revendu 32,375 hectares aux fermiers et le gouvernement de Stephen Harper a vendu un autre 4,450 hectares à 15% de rabais sur la valeur du marché, en 2006.
Pas très généreux comme offre, compte-tenu que les fermiers avaient été arrachés à leur terre, par voie d’expropriation. Tant mieux si une partie des terres ont été revendues mais quand même, on a pu voir le vrai visage du gouvernement fédéral.
Après son ouverture en 1975, YMX servait de plaque tournante pour les vols internationaux avec les vols domestiques qui étaient demeurés à Dorval. Le sort de Mirabel a périclité au fil des coupures de budgets mais aussi avec la perte de statut de Montréal en tant que place de choix pour les liaisons aériennes avec l’Europe.
Il y avait aussi une promesse de lien par rail-rapide avec le centre-ville de Montréal qui n’a jamais vu le jour. Même chose pour la complétion de l’autoroute 13 qui devait mener directement à l’aéroport de Mirabel. Un plan d’un milliard de dollars pour agrandir l’aéroport afin qu’il puisse accueillir les vols domestiques n’a jamais eu lieu, non-plus.
En 1997, les vols internationaux ont été transférés à Dorval et Mirabel a dû se contenter des vols charter, jusqu’en 2004. Depuis cette date, le complexe emploie quelques 4,000 personnes pour des usages liés à l’industrie aérospatiale et au expéditions de cargo mais l’aérogare —le bâtiment principal— demeure vacant depuis le dernier vol charter, en 2004.
On ne peut que se demander si ADMTL est en train de rater une occasion de corriger, au moins en partie, les torts causés par les expropriations, il y a de cela 40 ans. Qu’importe les rêves que pouvaient chérir des parties voulant utiliser le gigantesque terminal de Mirabel, ceux-ci ne se concrétiseront jamais puisqu’ADMTL prévoit avoir mandaté une compagnie pour la démolition de l’aérogare d’ici le mois de septembre 2014.
Comme en 1990 lorsqu’ADMTL a pris la décision unilatérale de transférer ses vols internationaux vers Dorval, il s’agit d’une autre décision unilatérale qui va sceller le sort de l’aérogare.
Mirabel était parfaitement située pour éviter de polluer les zones densément peuplées autour de l’aéroport de Dorval mais la santé de la population ne semble pas avoir été pris en compte dans la décision d’ADMTL. Il n’y avait, semble-t-il, que des impératifs économiques.
Personne ne veut perdre d’argent. Il est normal qu’ADMTL veuille mettre fin au paiement des frais d’environ 3M$ engendrés par l’entretien (au sens large) de l’aérogare de Mirabel, incluant les 800,000$ de taxes payés à la ville de Mirabel. Avec de grosses dépenses à venir pour garder l’aérogare en état —on parle d’une facture de 36M$— l’occasion était belle pour “tirer la plogue” sur le respirateur artificiel de l’aérogare en annonçant son démantèlement puis, sa démolition.
La nouvelle a bouleversé beaucoup de monde, de Mirabel et de partout au Québec.
Bruit, pollution, congestion routière et absence d’un lien rapide avec le centre-ville condamnent Dorval à demeurer un aéroport problématique.
Les Montréalais ont raison de questionner la sagesse de détruire l’aérogare d’un aéroport destiné à régler tous ces problèmes. Mirabel était un projet qui avait une vision et qui voyait grand, pour Montréal. Malgré les expropriations, le Québec était fier de voir se dessiner un projet qui voyait grand pour l’avenir de la métropole. Là, on voit que le rêve n’aura probablement plus jamais de suite. Avec tous les problèmes qui vont continuer à empirer, à Dorval.
Alors on sauve un peu d’argent à Mirabel mais on ne règle pas vraiment les problèmes, à Dorval. Pour ADMTL, c’est une économie d’une part mais encore plus de pression sur Dorval pour que ses problématiques soient résolues, ce qui n’est pas près d’arriver.
Quiconque a récemment pris l’avion à Dorval sait que c’est un aéroport qui a d’important problèmes pour l’accès et la cohabitation avec des centaines de milliers de résidents des quartiers environnants qui respirent la pollution des avions, à chaque heure de chaque jour… avec tous les coûts en santé que ça engendre.
Alors même si ADMTL règle un dossier, elle demeure prise avec Montréal-Trudeau qui ne permet pas à Montréal de voir aussi grand qu’avec le plan initial de Mirabel.